Ecrire ou conduire ? Il faut choisir…
Quand les publicitaires s’intéressent à la littérature, on est d’abord surpris. De surcroît quand il s’agit de fourguer une bagnole. Puis on est curieux. Ensuite, on reprend ses esprits et on craint le pire…
Ca commence plutôt bien. En usant de toutes les ficelles des séries télé (montage, lumière, voix-off, musique), on suit l’écrivain Joël Dicker dans sa quête d’inspiration pour son prochain polar. Pressé par son agent(e), il doit absolument trouver une histoire. Quel suspense ! On le suit de Paris à la Forêt Noire. La Forêt Noire ? Oui, parce que son agent mange de la forêt noire à table lors de la scène inaugurale. Soit. Les voies de la muse sont impénétrables.
Dans un bel hôtel payé et repéré par l’agence de comm en charge du budget Citroën, Dicker s’installe et se met à échafauder une histoire de meurtre sur fond de parties fines organisées par des banquiers. Je suis confondu par tant d’originalité.
L’originalité, une qualité qui n’a jamais étouffé les publicitaires se prenant pour des scénaristes de série américaines, ni Joel Dicker d’ailleurs, dont je ne renie cependant pas son Harry Québert, que j’ai lu d’une traite sans l’avoir beaucoup aimé.
Et puis ça commence à patiner quand son agent(e) le rattrape au volant d’une voiture rouge, elle, alors que celle de Dicker est noire. Elle lui rappelle qu’il a « un deadline ». Tremblez mortels ! Dicker, l’air de rien, tente de lutter contre sa panne d’inspiration en tournant de façon suave le volant d’une DS neuve sur des routes désertes et impeccables, probablement lavées à la brosse à dents par des stagiaires rémunérés en dentifrice.
Et là, saisi par une illumination, Dicker lui raconte son roman d’une traite, improvisant, par un collage instantané de tout ce qu’il a vu depuis le début de ces épisodes par la fenêtre de sa voiture et lors de ses promenades (mazette, des méchants chasseurs qui ont l’air de cacher quelque chose). Dans Usual Suspect, la scène finale utilise le même ressort, le principal suspect débite au policier des mensonges plus vrais que nature en piochant les éléments de son mensonge sur les documents présents dans le bureau. Une scène extraordinairement forte, bien plus que ce film publicitaire certes bien troussé mais assez creux.
Dicker nous offre une vision assez romantique de l’écrivain, seul au volant de sa voiture neuve, sillonnant les routes à la recherche de l’inspiration, la chemise toujours bien repassée. C’est plus vendeur qu’un pauvre typé aux cheveux sales, penché sur son ordinateur, qui se demande comment il va payer les pneus de la voiture. Car dans la vraie vie, il y a aussi des « deadlines » pour régler les factures. Et mon garagiste ne m’invite pas à manger de la forêt noire.
La nouvelle tirée du film est disponible à ceux qui testent la voiture en concession. Mettre en avant un écrivain et la Littérature (j’ai mis un grand « L »), même au service d’un fabricant de quatre roues, c’est quand même pas mal. Dans toute cette affaire, je soupçonne les créa(tifs) de l’agence d’avoir voulus de prendre pour des écrivains… beaucoup plus que Joel Dicker qui, lui, traverse cet étrange objet de promotion avec un sourire amusé de gamin.
Je l’aime bien ce Joel Dicker.
Finalement.
Attention spoiler : à la fin, il tue son agent(e).
Bien fait.