Denis Roche : encre et lumière
Photographie signifie, étymologiquement, écrire avec la lumière. C’est du grec. Les photographes sont-ils des écrivains ? C’est rarement le cas, quoique Cartier-Bresson avait une plume alerte, Eugene Richards de l’empathie et un sens de l’observation, Jim Goldberg, lui, intègre carrément l’écriture sur ses photos (la sienne ou celle de ses sujets) comme faisant partie de l’image. Denis Roche écrit avec de l’encre et photographie avec de la lumière.
Son exposition est terminée (c’est malin, j’aurais du écrire ce post plus tôt, mais parfois il faut savoir attendre que les réactions chimiques fassent leur oeuvre et dessinent peu à peu les contours de l’idée) mais il reste ce beau petit/grand livre aux éditions Delpire. Une retrospective. Des instantanés d’une vie. Des moments cadrés dans le quotidien. La banale profondeur de l’amour. Les rides, au fil des années, dessinant les vrais visages.
Mon image préférée est celle du photographe dilué dans l’épaisseur d’une vitre, au bord de la mer, au balcon d’une chambre d’hôtel. La femme qui partage sa vie regarde dehors, elle voit l’eau mais surtout, par le jeu des reflets, son amant. Ce qui est la même chose. L’image mêle les plans de netteté, creusant ainsi une grande profondeur dans la scène, profondeur synonyme de tendresse. La peau blanche rayonnant dans le gris entrecroisé du sable, des embruns, des cheveux, des nuages. Ce qui est la même chose. J’aime comme Denis Roche décrit l’image, dans le texte en face, de façon très factuelle, sans un seul instant nous faire croire qu’il imagine l’effet qu’elle peut produire sur notre peau (puisque c’est aussi par la peau que l’on regarde).
« Je me suis promené dans la lumière du temps, » écrit-il ailleurs.
A propos du bruit mécanique de son appareil, il commente : « C’est le bruit violent qu’on émet soi-même simplement par une pression, qui est un bruit rassurant, exaltant et en même temps c’est le bruit de cette espèce de réalité qui se déchire sous l’action du rideau, de l’obturateur. C’est à dire que le fait de prendre de la réalité fait un bruit pas possible. Dans la machine à écrire, c’est pareil : on est rappelé à l’ordre sans arrêt par le bruit de la frappe… ». Denis Roche photographie avec de l’encre et écrit avec de la lumière.