La chute des corps – Chapitre 14/24
Chapitre 14
La lueur de l’aube, un lait tendre, se dépose sur les épaules nues de Christiane et de Philippe, d’Alix et de Stéphane. Les amants se réveillent, frottant leurs plumes froissées, frais étonnés que le monde les laissent s’aimer.
Malgré la perspective d’un petit-déjeuner pressé et la perspective du retour imminent à la vie normale, Christiane goûte à ce moment suspendu avant d’ouvrir les yeux. Marc-Antoine ne posera aucune question. Il se laissera faire, ne demandera pas à Christiane d’« arrêter de baiser ce Philippe, je tiens à toi et je ne te laisserai pas partir avec un vendeur de virages trop bronzé pour être honnête ». Bien sûr qu’il ne le dira pas, il évitera la confrontation, il attendra que ça passe, comme d’habitude.
Alix n’avait quasiment pas dormi. Elle frotta ses yeux rougis d’avoir regardé à la télé des idioties abrasives pour la cornée. Stéphane ronflait d’un rythme diesel. Elle bondit hors du canapé et chaussa ses baskets. Elle s’habilla chaudement d’un collant moulant, d’un bonnet, de gants et se propulsa hors de cet appartement dans l’aube naissante. L’intimité d’un homme n’était pas nécessaire à l’amour, pensa-t-elle en remplissant ses poumons d’air crépitant de froid. Elle ne devait pas vivre avec quelqu’un, ça ne marchait pas, elle devait garder ses distances, se préserver. Bon, se dit-elle en posant avec précaution ses semelles sur la glace, tu règleras ça à la fin de cette enquête.
Marc-Antoine était rentré à son appartement frigorifié. Il s’était endormi dans un bain bouillant et fut réveillé par le niveau de l’eau touchant ses narines. Il toussa l’eau savonneuse et se demanda si quelqu’un était déjà mort en s’endormant dans son bain. Si c’était possible. Ou pas.
Il s’enveloppa dans une serviette et s’allongea sur le canapé. La porte de la chambre était fermée. Il ne voulait pas y entrer, car soit Christine s’y trouvait – et il ne voulait pas lui parler – soit elle ne s’y trouvait pas – et il préférait ne pas le savoir.
Sa peau molle laissa entrer dans son corps quelques idées mauvaises fragilisant son humeur. Depuis qu’il était arrivé dans cette station, il voyait tout en noir. L’effet conjugué du relâchement des vacances et de la tension générale liée aux morts subites. Christiane allait le quitter, c’était certain et il ne pouvait rien y faire.
Soudain, il se souvint de cet étrange rencontre nocturne. Ce vieil homme agacé et son tube de plastique lui servant de canne. Un rêve ? De quoi avaient-ils parlé ? Le souvenir de leur conversation était confus. Marc-Antoine fit un effort de concentration mais la seule image qui vint était le corps humide de Christiane sous celui de Philippe, tous deux mêlés en un accouplement animal. Christiane en tirait un plaisir évident, Philippe remuait ses fesses, deux pamplemousses gigotant, entre les jambes ouvertes de Christiane.
Marc-Antoine se fit couler un café pour chasser la scène. Le soleil préparait son entrée derrière le rideau des montagnes, en illuminant le ciel progressivement. Après son café, il se rendormit brièvement dans de rêves brouillés mettant en scène sa propre mort dans une émission de télé-réalité. Corps-cobaye, il mourrait dans chaque épisode d’une façon différente, commentée et notée par un jury de médecins-légistes, de lecteurs de polars ainsi que les téléspectateurs qui envoyaient un SMS au 3618. Christine riait de bon coeur à cette torture télévisée depuis le premier rang du public. Abondamment filmée en gros plan, en contre-champ du visage souffrant de Marc-Antoine, un texte incrusté l’identifiait comme : Christiane, femme adultère de Marc-Antoine.
… à suivre…
©Guillaume Desmurs/La Chute Des Corps/2017