La minute paranoïaque #2

La minute paranoïaque #2


Le mot parralelépipédique. Il m’a intrigué au détour d’une phrase, un matin avec le chocolat chaud du bar et le courant d’air froid qui dévalait la salle en venant pile sur moi comme un chien qui choisit sa victime pour lui monter sur la jambe. J’éternuais et je n’arrivais pas à terminer mon paragraphe : « Le froid figeait les contours glacés et la régularité toute parralélépipédique des bâtiments », dans mon polar.

Mon correcteur orthographique m’indique d’un culpabilisant trait rouge pointillé l’erreur orthographique. Je tente de changer un accent, rajouter un «  » au milieu, ce qui semble le calmer : le trait rouge disparaît. Pour être certain, je le copie dans un autre logiciel (Notes) et le trait rouge réapparaît.

Il faut savoir que je travaille dans des cafés dénués de connection wifi gratuite, et si tel est le cas, je déconnecte mon wifi. Je n’ai pas de moyen de vérifier sur internet la véritable orthographe de ce mot. J’ai toujours eu des problèmes avec les cédilles et le mot parallèle. Je ne suis probablement pas très aligné à l’intérieur, voilà pourquoi. Je m’acharnais à bricoler le mot pour atteindre la justesse orthographique… sans succès.

La ligne rouge pointillée fronçait toujours des sourcils comme un professeur sévère.

J’étais coincé, totalement arraché à mon histoire, à mes personnages, la femme venait d’inviter son mari à prendre l’apéritif chez son amant.

Et me voilà à ferrailler avec un mot dont je pourrais tout à fait me passer, pour toujours, ne plus jamais le revoir, le remplacer par « cubique », dans « la régularité toute cubique des bâtiments ». Mais ce mot parralelépipédique ne me lâche pas. Je ne vais pas me laisser faire ! A croire qu’il est là pour m’empêcher d’écrire. Et là je me demande très sérieusement si certains mots ne vous empêchent pas d’écrire ? S’il ne sont pas des épreuves mis sur le chemin de l’écriture pour vous distraire, comme d’énormes cailloux ou roche de matière dure dans le cours de la rivière forçant à un détour.

Me voici donc, un quart d’heure plus tard, à changer les lettres pour contourner le correcteur orthographique. Je crois avoir vaincu en enlevant l’accent sur le premier « e ». Le trait rouge réapparait peu après. Damn ! Je ne collerais donc pas au sol ce long mot qui se tortille sous mes doigts. Avec un « r » en moins ? Non. Deux accents aigus ? Ah, le trait tarde à réapparaître, est-ce une victoire… non ! Il revient, accusateur et têtu, sous le mot, de la première à la dernière lettre. Je m’avoue défait. Je dois partir, laisser là cet intrus en mission dans mon texte et m’occuper de lui plus tard. Tu cracheras bien ce que tu sais, salaud !