La Nostalgie camarade !

La Nostalgie camarade !


Thomas Morales aime Philippe de Broca et Dino Risi, les tripes et le fromage de tête, Jacques Perret, René Fallet, Frédéric Berthet et les Hussards, le tweed et les cravates en tricot, les 49,9 Motobécane et les coupés sports italiens, Nile Rodgers et George Benson.

Thomas Morales voue un immense mépris aux technocrates bruxellois, aux bobos progressistes et ultralibéraux à barbiches, aux écrivains droitdelhommistes à sentences et idées mollassonnes, aux néo-littérateurs se grattant le nombril jusqu’au sang (« Papa buvait, maman se droguait, Tonton était collabo et Pépé piquait dans la caisse »).

Thomas Morales trouve le néo-freak pas chic du tout, préfère caves et greniers aux salons d’apparat, et a parfaitement retenu la leçon inaugurale de maître Maurice Ronet, qu’on devrait apprendre dans tous les collèges de France : « Pas d’élégance dans le neuf. »

THOMAS MORALES EST DONC UN AMI.

Un frère. Un cousin de province (Paris-Berry, poste restante) pas germain pour un sou, étiqueté 100 % « NF ». La définition de l’identité française qu’il nous offre n’est elle pas la meilleure ? « Indéfinissable », se contente-t-il d’avancer… Une certitude cependant : « Qui ne tombe pas sous le charme du couple Noiret-Girardot dans les comédies de Broca, n’est pas vraiment français ! » Chez Morales, si on aime mettre en boîte, le poulet se mange tendre. Sans compter qu’à la table de notre copain on a le droit de saucer son assiette.

Pochettes surprises pleines de poudres acidulées, noires et blanches, ses chroniques, rassemblées dans le (peu) présent volume, et d’abord disséminées dans tout ce que la presse parisienne compte encore comme canards d’opinion et d’opposition, sont une déclaration de guerre à la modernité modernisante, à l’obsolescence programmée, au tout techno, « aux falsificateurs qui pullulent dans les arts ». Tricheurs et emmerdeurs ne sont supportables que chez Carné ou Veber. Adios, éloge du monde d’avant (salut à toi, grand Kléber Haedens !) se présente comme un catalogue de petites et grandes admirations, d’un art de vivre et de créer à la française. Catalogue redoutable car refusant poliment à peu près tout ce qui peuple actuellement notre Hexagone.

Thomas Morales ou l’homme au milieu des ruines, « reboussolé » dans le rétro, esthète (de lard), dandy des petits chemins vicinaux de la littérature (ses éclairages sur Jean-Pierre Enard, ADG ou Jean-Claude Pirotte réchaufferont des coeurs), lecteur vagabond (Druon, Rivoyre ou Roald Dahl), piéton de Paris volontairement largué (touchantes évocations de Fargue, Hardellet ou Simonin), et automobiliste à ses heures, quand les grandes plaines offrent enfin un horizon, et surtout parce que, comme il le dit en substance, on n’a plus le droit de l’être… La bagnole pour une essence rare, une ligne claire (britannique ou transalpine), et pour faire chier l’écolo (très mauvais fumier) : voilà qui se défend. Contre le siège du mort et du zombie, le quotidien Waterloo, la plume (Waterman) légère se défend encore mieux.

Et si, parfois, trop c’est trop, qu’il faut monter au front, partir à l’assaut, Thomas Morales le fait évidemment à la hussarde : sabre au clair (autant que sa ligne). La bataille de France est peut-être définitivement perdue (« On reconnaît une nation en déliquescence à la façon dont les gens parlent, écrivent, s’habillent »), ce n’est surtout pas une raison pour s’affranchir des traditions.

Il y a chez Morales beaucoup de Talbot, personnage principal de la merveilleuse « Campagne d’Italie ». On connaît l’ultime confession du héros du roman de Michel Mohrt : « On ne s’en remettra jamais ». Une devise qui va à l’ami Thomas comme un gant (beurre frais, blanc, beurre blanc ?).

La nostalgie, c’est l’intime, le passé recomposé, le secret des familles, des lectures, des amitiés. Elle est discriminante par essence, une pierre précieuse, un ultime refuge. (page 39 d’Adios)

Aucun caprice, une petite île : c’est tout ce que défend finalement notre ami.

Mieux avant ? Pardon camarade, permesso, c’était vachement mieux avant.

Rater sa vie aujourd’hui en ne fréquentant qu’hier et avant-hier. Et pourquoi pas? Après tout, pas de quoi en faire un fromage. Enfin, c’est tout de même pas plus mal avec quelques madeleines dans une main et un verre de Pouilly dans l’autre. A vider d’urgence, tout de même, le godet. Parce qu’il va falloir encore en écoper des cales de Titanic. On n’est pas au bout des adieux en haut, sur la passerelle. Mauvaises nouvelles des étoiles.

Adios, éloge du monde d’avant de Thomas Morales, aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, 170 pages, 17 euros.