Rater son lecteur
Le choix des livres que je lis, pour moi et pour ce blog, est lié à plusieurs paramètres inégaux et changeants. Parfois il s’agit du nouveau roman d’un auteur que j’aime, parfois c’est une critique qui m’incite à l’acquérir, ce qui est rare, je préfère lire les critiques après pour voir si je suis d’accord. Parfois on me recommande l’ouvrage comme dernièrement les Rêveries d’un Gourmet Solitaire de Taniguchi. Parfois on me le donne comme Le Script de Rick Moody, mais le plus souvent je me laisse guider par le discret hasard de l’arrangement d’une librairie (les miennes sont Decitre Annecy, la magnifique librairie Imaginaire, la librairie des Danaides, et celles des villes que je visite, toujours mon premier arrêt avant le café).
C’est l’attrait du titre, de la couverture, les quelques phrases feuilletées et lues rapidement. C’est ainsi que j’ai découvert William Vollman et Central Europe qui est l’un de mes livres préférés ou Tokyo Year Zero de David Peace que je ne lis pas assez (il est un peu déprimant aussi, faut dire).
C’est dans cette dernière catégorie que je range Le Marchand de Premières Phrases de Matei Visniec. La couverture m’a rappelé l’homme auquel j’aimerai ressembler, écrivain cliché, certes, mais totalement séduisant, élégant avec le col repassé, la cigarette, la tasse de noir et la machine à écrire. Il ne manque rien.
Avec ce livre, j’ai d’abord cru à un meta-roman qui met en scène le roman et l’auteur à l’intérieur du texte. Oui et non, ce n’est pas seulement ça. C’est une exploration légère et ironique (l’auteur écrit avec un sourire en coin en permanence) qui ne se prend pas au sérieux. Il nous emmène dans son monde fantasque qu’il est parfois difficile de suivre car plusieurs histoires s’additionnent et chaque chapitre est consacré à l’une d’elle. Je vous passe les détails, à part qu’il y a un homme qui travaille pour une organisation proposant les premières phrases aux écrivains. Il raconte l’histoire des plus célèbres d’entre elles (L’étranger de Camus par exemple). Rigolo. C’est ce qu’on retrouve sur la quatrième de couv’. Sauf que les autres chapitres sont à peu près incompréhensibles, rien ne se tient et la poésie déstructurée ça va cinq minutes…
Je me suis découragé. Quand l’auteur ne vous tient plus par la main, par le col ou par les sentiments, vous n’avez plus aucun raison de le suivre. Chapitre 38 : j’ai quitté le navire. Ce chapitre commence par :
« Je ne sais pas comment l’appeler. « Imbécile » serait tout de même pas mal.«
Parle-t-il de moi ? Lecteur peu assidu ? Non, il décrit les différentes catégories de rêves… Bof… Je décroche donc page 160. Ciao l’ami.
Par acquis de conscience, je regarde la dernière phrase, quand même, qui dit : « non, la mort ne devrait pas laisser de fenêtres ouvertes derrière elle« . Un roman non plus et celui-ci est traversé de courants d’air qui m’ont donné le rhume. Au moindre coup de vent, on attrape froid. Je vous laisse, je vais me moucher dans d’autres pages.
Il n’a pas raté son livre, il a raté son lecteur.