Le mépris de classe
« Tout pour Notre-Dame, rien pour les Misérables ». Le slogan entendu lors de la dernière manifestation des gilets jaunes à Paris est caricatural comme tous les slogans, mais il résume ce mépris de classe dont j’ai toujours cru qu’il était réservé au vocabulaire communiste (vous vous souvenez, ce parti de gauche qui parlait toujours plus fort que les autres ?). Je pensais le mépris de classe cantonné aux manuels d’histoire. Pourtant, en voyant Macron répondre aux gilets jaunes (tout comme Hollande et ses sans-dents, et j’insiste sur ces deux-là puisqu’il sont censés être socialistes, donc de gauche je précise), en l’écoutant parler, je pense : mépris de classe. Quelques lectures fort à propos l’évoquent..
Les dernier livre de François Ruffin ne parle que de cela. Il traçe en parallèle la vie d’Emmanuel Macron et celle de l’auteur, tous deux élèves du même lycée à deux ans d’écart. L’un refusant les clans, l’autre tressant ses réseaux dans les cercles du pouvoir dominant médiatique, politique et économique. Deux vies, deux ambitions, deux morales…
« Vous qui incarnez la corruption, la corruption non pas individuelle, mais la corruption d’un système pourri, mité, d’une démocratie décrépite, digérée par l’oligarchie, si sûre de sa force qu’elle installe son banquier à l’Elysée ! Vous, avec votre entourage, qui n’est fait que de ça, de conflits d’interêts, de stock-options, de conseil d’administration, de collusion avec les firmes privées ! ».
François Ruffin
Je suis de près, depuis des années, ce journaliste/député. Il refuse les clans, les habitudes, il est lucide et fait ce qu’il peut pour être à la hauteur de ce qu’il croit être le travail du journaliste et de l’écrivain : être à l’écoute, comprendre et raconter. Il décrit comment, à l’inverse, Macron s’est construit en s’isolant de tout ce qui compose notre modeste quotidien. Vous n’êtes « pas entraîné au réel », écrit Ruffin.
Ce pamphlet informé a été écrit vite, d’un trait rageur. Il illustre le mépris de classe en juxtaposant les problèmes quotidiens de la France modeste, ou périphérique (celle qui n’a pas bénéficié de la mondialisation depuis quarante ans), et les réponses apportées par le jeune Président au parcours de météore.
On retrouve ce même mépris de classe de l’autre côté de l’Atlantique. Les Américains l’appellent inequality ou unfairness(puisque la notion de classe n’existe pas aux Etats-Unis). Une histoire populaire des Etats-Unis de Howard Zinn rappelle ce qu’était la condition des escalade mais aussi des serviteurs blancs, ces pauvres européens, traités de la même manière (ou presque, puisqu’il pouvait regagner leur liberté à la fin de leur contrat). Cette misère sur laquelle s’est construite les Etats-Unis et fondées des fortunes fait écho aux inégalités criantes du jour. La concentration d’immenses richesses dans les mains de si peu, et, de l’autre côté de la balance, les conditions de vie dégradées et dégradantes.
L’histoire décrite par Zinn est une confrontation permanente entre l’élite dominante et les dominés. Les uns s’organisent pour conserver leur pouvoir, parfois en jetant des cacahouètes aux pauvres pour les calmer, les autres manifestent pour des droits basiques. J’ignorais d’ailleurs les immenses grèves, souvent réprimées dans le sang, de la fin du XIXème aux Etats-Unis…
Où est passé l’arbitre ? C’est la question que pose Against the rules, le premier podcast de Michael Lewis (journaliste/écrivain ayant brillamment raconté la genèse de la crise des subprimes de 2008 dans The Big Short). Il aborde la question de ce qui est fair et de ce qui ne l’est pas. Pour l’auteur, c’est justement l’arbitre est le garant d’un jeu équilibré, que ce soit sur un terrain de basketball (le premier épisode) ou dans la société en général. Cet arbitre, justement, est de plus en plus remis en question.
« La société américains a un point commun avec le basket ball : l’autorité de son arbitre est remise en question. Et quand l’arbitre est faible, tu as un gros problème, car il peut être intimidé ou tout simplement ignoré. (…) Et un jour tu te réveille dans un monde qui est non seulement pas fair, mais truqué, c’est à dire incapable de devenir juste (fair), car les gens qui bénéficient de ce manque d’équité ont le pouvoir de la préserver pour eux. »
Michael Lewis
A contrario, l’essai de Grégoire Bouillier, auteur pour lequel je manifestais un certain interêt quant à son humour acide, est geignard. Il se décrit en parisien nonchalant allant voir les manifestations comme au zoo car « il le faut« . Il raconte quelques échauffourées et passe beaucoup de temps à s’ébahir de sa trouvaille : le titre, Charlot Déprime, est l’anagramme de Arc de Triomphe. Il y a une photo intéressante, certes, qu’il a prise, celle-ci.
Vous avez vu la photo, vous avez lu le livre. Tout cela est bien vain. Ses analyses politico-économiques sont faibles, reflet d’une pensée unique qu’il est censé pourfendre : « Les gilets jaunes sont « la création, froide et délibérée, de l’économie de marché ». Il écrit « putain » à tout bout de champ pour faire scandalisé. Je cite :
« Pour un fois qu’un révolte a lieu, je ne regrette pas d’être là, puisqu’on ne se révolte que contre ce qui est révoltant ».
Grégoire Bouillier
Allez Grégoire, tu aurais été mieux inspiré d’écrire des slogans, comme celui-ci, aperçu dans un rue aux commerces dévastés par les manifestants :
« Pensons aux familles des vitrines ».
Ca, au moins, c’est pas du mépris de glace.
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