« J’ai raté une grande partie de ma vie », Orson Welles
Orson est un ours. Un animal superlatif dans l’histoire du cinéma. Un génie total qui brille autant à l’écriture, à la réalisation que comme acteur. Dans Citizen Kane, on ne peut qu’être ébahi par son énergie créatrice sans repos. Je reste estomaqué par l’introduction et la séquence finale de la Splendeur des Amberson où Orson, avec une liberté touchant à l’effronterie, lance et clos son récit. Sans parler de la Soif du Mal, avec ce long plan-séquence introductif et ce personnage de l’inspecteur, joué par Orson, du même niveau interstellaire que Toshiro Mifune dans Les 7 Samouraïs ou Daniel Day Lewis dans There will be blood. Ils ne jouent plus, ils sont.
Pourquoi j’invite l’ours dans mon blog ? C’est qu’il y a un portrait documentaire sur lui à la télé en ce moment. Je n’ai pas réussi à retrouver la référence (quelque part dans la nébuleuse de Canal Sat) et je n’ai vu que la fin. Très touchante. Orson vieillissant, avec beaucoup d’émotion dans la voix, explique qu’il aurait certainement du quitter l’industrie du cinéma après un certain temps (lui qui avait commencé au théâtre et s’était fait un nom à la radio). Il avoue qu’il aurait certainement mieux réussi en changeant de métier. Un film, c’est « 2% de création et 98% de prostitution » (hustling est le mot précis qu’il utilise). Quel aveu ! Orson Welles himself, qui hurle et maudit l’univers entier dans la forteresse de Mogador – et, ce faisant se hisse à sa hauteur, dans Othello – avoue sur la fin de sa vie qu’il a « raté une grande partie de sa vie » !
Il n’a pas pu s’arrêter de faire des films, même si cela lui demandait une énergie démentielle pour monter des projets qui sont parfois tombés à l’eau au moment du montage… même s’il a passé sa vie à chercher de l’argent pour payer ses équipes (il a interrompu trois fois le tournage d’Othello pour tourner dans des publicités et réinvestir l’argent dans son film). Il est resté fidèle à lui-même. Un ami interviewé dans ce documentaire raconte que Welles, trop gros pour se tenir assis, est mort avec sa machine à écrire sur le ventre. Quel détail incroyable. « Il est mort en écrivant un film ! », ajoute-il presque étonné.
Car Orson n’a jamais arrêté d’écrire des films, contre tous, contre tout, contre la réalité, contre les studios… et ce, malgré la terrible lucidité lui disant qu’il était en train de rater quelque chose. Il a continué. Sa fille cite Falstaff comme sa prestation la plus émouvante. On le voit barbu, boursouflé, moqué par le prince. Orson lui-même ajoute que Falstaff est son film préféré. Et nous, pauvre spectateur illuminés par le génie de cet homme, recueillons sagement quelques miettes d’énergie créatrice. Amen.