Saint-John Perse

Saint-John Perse


Je saute sur l’occasion d’un dimanche pluvieux pour vous parler de ce vieux monsieur mort depuis longtemps qui porte sur lui, pour toujours, la tâche indélébile d’avoir été de la délégation française ayant négocié les accords de Munich, en tant que haut-fonctionnaire du ministère des affaires étrangères. Saint-John Perse, ou Alexis Saint-Leger Leger (le premier se prononce Léger, le second Leuger), est avant tout un poète. Comme pour Morand ou Céline, leurs sympathies politiques ne m’intéressent guère. Je reste au texte.

Perse, c’est d’abord un prix Nobel qui a une autre gueule que Bob Dylan (certes, je confesse mon inculture en Zimmermanologie, mais bon). Il dessine des voyages dépassant les limites de la sensibilité humaine, me semble-t-il.  Ses poèmes, surannés comme il faut, s’épluchent avec le temps : en retirer les couches avec patience, les observer sous différentes lumières, à différentes saisons, par différentes humeurs. Lentement, le sens apparaît comme un oracle de prime abord obscur, révélant avec le temps – à la manière d’une encre sympathique – le secret contenu dans la fibre de ses mots, dans la matière de ses lettres… entre ses mots, entre ses lettres.

Je ressors mon Pléiade. Un volume ramassé, totalement contrôlé par l’auteur de son vivant.

Voici les premiers mots d’Anabase, son poème le plus célèbre, et celui par lequel je l’ai découvert :

« Il naissait un poulain sous les feuilles de bronze. Un homme mit des baies amères dans nos mains. Etranger. Qui passait. (…) ».

Je l’ai découvert lors d’un voyage à Lisbonne, dans une anthologie de la poésie française de Max-Pol Fouchet (rescapée de mon année d’hypokhâgne). Je parcourais les poèmes classiques d’un oeil mi-las, mi-affamé par une après-midi passée à marcher en ville à la recherche d’un livre de Pessoa traduit en français, en vain… et là je tombe sur un extrait d’Anabase qui clôt le livre à couverture verte. Je m’y reprends à deux fois. Je le murmure même, car je n’en crois pas mes yeux : c’était comme découvrir un autre monde, une autre culture rescapée qui, miraculeusement, parlait la même langue.

«  (…) des sacrifices de poulains sur les tombes d’enfants, des purifications de veuves dans les roses et des rassemblements d’oiseaux verts dans les cours en l’honneur des vieillards ;

beaucoup de choses sur la terre à entendre et à voir, choses vivantes parmi nous !

des célébrations de fêtes en plein air pour les anniversaires de grands arbres et des cérémonies publiques en l’honneur d’une mare; des dédicaces de pierres noires, parfaitement rondes, des inventions de sources en lieux morts, des consécrations d’étoffes, à bout de perches, aux approches des cols, et des acclamations violentes, sous les murs, pour des mutilations d’adultes au soleil, pour des publications de linges d’épousailles ! (…) »