Retour à la lumière
J’ai d’abord entendu Thomas Vinau. En le lisant, je l’entendais. Son écriture était une voix singulière. Son second roman, Ici, ça va, est aussi simple que son titre. La rivière au bout du jardin coule sous la peau de la page. C’est un monde idéal loin d’être parfait, mais qui fait l’affaire et surtout : qui réunit.
Un couple emménage dans la maison d’enfance esquintée et la reconstruit pas à pas. Il y a des animaux, des arbres, des poissons, des humains. C’est un terrain fertile pour l’amour, pour la simplicité de la présence, pour prendre soin l’un de l’autre. On existe vraiment dans ce roman, on ne se contente pas d’être. J’en suis sorti, avec un sourire doux au visage, comme si j’avais laissé ma paume dans une eau tiède pour retenir le courant. Pour dire vrai, je n’en suis pas sorti. « C’est l’histoire d’une reconstruction, d’une rénovation« , écrit Thomas Vinau à la fin. Du couple comme de la maison. « Les livres correspondent« , ajoute-t-il plus loin, car ce roman est une sorte de suite du précédent. C’est vrai, il se ressemblent, échangent, se lient les uns aux autres et c’est encore plus vrai dans le cas de Thomas Vinau.
J’ai demandé au libraire parisien un livre de Thomas Vinau, n’importe lequel, ses poésies, ses romans, qu’importe… Il a disparu un moment et est revenu avec le dernier roman, Le camp des autres. L’histoire d’un jeune garçon fuyant sa ferme au début du siècle d’avant, et après avoir erré et à peine survécu dans la forêt, va rejoindre la caravane brinquebalante des chemineaux et vagabonds qui traversaient la France à l’époque.
Je peux ouvrir ce roman au hasard et prendre une phrase, comme ça, car à l’image des fractales, un détail ressemblera au tout :
« … quelque chose dans son ventre et ses jambes, dans sa mâchoire serrée, dans ses cheveux et ses yeux en bataille, quelque chose de brûlant et de coupant, comme un instinct en forme de galop ou de flamme, le submergeait ».
Il n’y a pas de guillemets ni de retour à la ligne quand les personnages parlent, mais on le sait tout de suite, leur voix sont reconnaissables sans peine tout en étant inextricablement tissées à celle de l’auteur, tissées au paysage, composées du même fil et pourtant d’une couleur bien distincte.
Comme dans Ici, ça va, le rythme des paragraphe est d’une page et demi environ, ça tombe bien, c’est la vitesse de la marche. Et c’est ainsi que les livres de Thomas Vinau correspondent, c’est ainsi que je les ai entendus, que je les ai mâchés, qu’ils ont donné une tonalité particulière à la lumière oblique de la saison.
Voilà, je me suis dit que ces livres étaient comme un bol de pêche du jardin, avec leurs formes irrégulières, leur goût variable, leur peau épaisse, leur chair toujours juteuse. Je me suis dit que croquer dans une pêche encore tiède de soleil, à l’orée de l’automne, ressemblait bien à « une remise à jour dans le sens d’un retour à la lumière ».
L’écrivain François Bon s’est emparé de quelques poésies de Vinau et, avec sa trogne de campagnard, leur a donné sa propre voix : François Bon lit Thomas Vinau.