Une histoire d’angles
Les idées ont une vie curieuse. En relisant les épreuves de mon roman à paraitre en novembre (copinage pour moi-même : La revanche des hauteurs, chez Glénat, achetez-le, il est bien), je tombe sur ce paragraphe :
« Étonnamment, l’animal plissé que Jean-Marc faisait passer pour son chien était réellement un chien. Il dodelinait du croupion, d’une crotte gelée vers un bloc de glace jauni et collait sa truffe dans tous les recoins oubliés des hommes. Ces bas de murs et ces dessous d’escalier où la poussière vient mourir. Où s’accumule un continent de raclures, de copeaux, d’em- ballages déchirés, de brisures, de résidus de semelles, de mégots jetés, de boutons perdus, de choses cassées, rouillées, tordues, écrasées… Là où même la pointe encrée du Rotring de l’architecte n’est jamais allée, terminant les lignes droites quelques dixièmes de millimètres avant la fin, comme effrayée par ce lieu absolu où l’univers – l’espace et le temps – disparaît : le coin. »
Cette histoire d’angle vient d’abord de JL Borges, qui découvre caché dans l’angle de la dix-neuvième marche de l’escalier de la cave, l’Aleph (du nom de la nouvelle), qui est l’univers entier, « le lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l’univers vus de tous les angles. » Mais c’est surtout cette phrase de l’écrivain JG Ballard qui a teinté, à retardement, ma description de ce bas de mur banal reniflé par un chien :
« Does the angle between two walls have a happy ending? » (« Est-ce que l’angle joignant deux murs connait une fin heureuse ? »).
JG Ballard
Lue il y a vingt ans de cela, cette curieuse idée est remontée à la surface dans un paragraphe de mon roman comme un filigrane. Si j’étais snob, j’utiliserai le mot de palimpseste, puisque j’ai lu Gérard Genette en hypokhâgne. Ah ben voilà c’est fait : je suis snob.
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