Le cas Moore
Après City on Fire, je vais vous raconter en temps réel #livreenlive, au fur et à mesure de ma lecture, ce monstrueux livre : le second roman d’Alan Moore. Je viens de le recevoir par la poste, ce soir, juste avant la pizza familiale. J’ai déchiré le plastique d’un coup d’opinel (ils n’ont pas ce genre de couteau à Northampton, hein ?). Il est enfin là : Jerusalem.
Je m’apprête à entrer dans le cerveau du magicien britannique du comics… et vous emmener avec moi dans ce voyage unique. L’auteur des magistraux V pour Vendetta, From Hell ou The Watchmen, a en effet consacré ces 1200 monstrueuse pages à sa ville natale (dans laquelle il habite toujours) : Northampton.
Le visage intense en noir et blanc de l’auteur interpelle le lecteur un peu intimidé par cette somme pesante. Le premier chapitre, intitulé Work in progress, commence par « Alma Warren, five years old, thought that they’d probably been shopping, her, her brother Michael in his pushchair and their mum, Doreen. » Relisez. Tout est dans le « thought ». Je vous le sers en anglais, en attendant que la traduction, signée par Claro, paraisse aux éditions Inculte.
Je viens de terminer les dernières pages de Venises de Paul Morand avant de me lancer dans ce marathon de près d’un million de mots. Un vulgaire éternuement pour Alan Moore qui aime, en marge de ses bandes-dessinées, ajouter des quasi-romans comme dans The League of Extraordinary Gentlemen. Verbeux ? Un peu.
Alan Moore dispose de trois cerveaux qu’il est contraint de vidanger régulièrement.
Je dois reconnaître qu’Alan Moore version roman, c’est de la littérature de geek. Je n’attends pas le chef d’oeuvre. J’attends, well, un livre de geek. Je le définirais par la capacité à se complaire dans des références culturelles de niche. Un autre auteur à classer dans cette catégorie est sans aucun doute Neal Stephenson. Je vous en parlerai un autre jour. Ses aventures littéraires ne sont jamais de grands ouvrages (ils ne peuvent pas l’être de par leur geekitude justement) mais des livres passionnants, mystérieux, inépuisables, qui parlent à mes obsessions minuscules. Ces livres que j’ai trouvé médiocres sur le moment me laissent d’indélébiles traces comme, par exemple, Cryptonomicon, du susnommé Stephenson. Le livre est trop long, mal rythmé, mais il en reste une certaine fascination. Je crois que Jerusalem fait partie de cette catégorie.
Pour terminer, je voudrais vous expliquer l’étrange coïncidence entourant, ce soir, ce livre et la lettre K.
Je m’explique.
Je cherchais l’entrée consacrée à Paul Morand dans le joyeusement épais Dictionnaire égoïste de la langue française signé Charles Dantzig et je tombe, en l’ouvrant au hasard, sur la lettre K (l’article situé d’ailleurs juste après James Joyce, l’une des inspirations revendiquée d’Alan Moore pour Jerusalem). « Leibniz (…) affirmait que les Allemands usent du K parce que le K est signe de puissance (…). Gérard de Nerval haïssait le K », cite Dantzig en précisant la source : Paul Morand, justement, dans Journal d’un attaché d’ambassade (encore un ambassadeur, comme Saint John Perse et Romain Gary. Décidément j’aime la littérature de fonctionnaires).
Souriant au faisceau d’écrivains adorés reliés par cette lettre K, je commence à lire Jérusalem et, au deuxième paragraphe, découvre cette phrase : « … where the marching K leaned boldly forward against driving wind… » Il s’agit de la grande lettre d’une enseigne dans l’une des rues commerçantes de Northampton. C’est drôle parce que pas plus tard que la semaine dernière, j’ai acheté à mon fils, sur demande de sa prof de français, le K de Dino Buzzati.
Alan, j’arrive !