La chute des corps – Chapitre 19/24

La chute des corps – Chapitre 19/24


Chapitre 19

Alarmé par les révélation du docteur Lecoeur, Marc-Antoine se dépêcha d’appeler Alix. Il se donnèrent rendez-vous et il la retrouva penchée sur son article, le stylo suspendu au-dessus de son Clairefontaine, dans une salle au fond du restaurant des Gentianes, l’un des rares établissements n’ayant pas été réquisitionné et transformé en PC pour l’une ou l’autre force de l’Etat.

-Votre écran est éteint.
-Je n’ai plus de batterie. Et j’ai oublié mon câble.
Il y avait trois tasses de café vides sur sa table.
-J’ai eu une discussion éclairante avec le médecin généraliste de la station…
-Oui et ?
-Les suicides n’ont pas commencé cette semaine. Ca dure depuis des années.
Alix mordilla l’arrière-train de son Bic.
-Je n’ai pourtant rien trouvé dans les archives du journal.
-Et puis il y a autre chose, dit Marc-Antoine en s’asseyant.

Dans ce restaurant à la décoration montagnarde patinée de fausses années par des petites mains vietnamiennes, Marc-Antoine et Alix avaient enfin la sensation de manipuler des pièces cruciales du puzzle. A défaut de lisibilité, les éléments du mystère se mettaient en mouvement.
Marc-Antoine lui raconta sa rencontre fortuite dans la tour en travaux, ce vieil homme embarrassé, seul, à 3 heures du matin.
-Comment peut-il être impliqué ?
-Je ne sais pas, répondit Marc-Antoine en haussant les épaules.
-Quel bordel… lâcha Alix avec un relâchement lexical qui ne lui ressemblait pas. Mon copain m’a avoué que les gendarmes n’avaient pas la moindre piste. Il ne comprennent pas. Pas d’indices, pas de point commun entre les victimes, des milliards de mobiles et pas un qui tient la route. Pas de substance dangereuse dans l’eau du robinet. Même les analyses d’air n’ont rien donné. Ils passent leur temps à s’engueuler entre flics et gendarmes pendant que leurs hiérarchies demandent du résultat. Les interrogatoires ressemblent à du speed-dating. C’est ridicule… Ils ne sont pas plus avancés qu’il y a trois jours avec le premier suicide.
-Vous lui avez parlé des suicides des dernières années à votre copain, il en dit quoi ?
-Il a rigolé, il a dit un truc du genre « tu es journaliste, pas gendarme ». Il considère que je suis une sorte d’enquêtrice allégée.
Alix sourit et Marc-Antoine fut séduit par la fragilité de cette jeune femme, sa liberté, son insouciance, alors que Christiane était prise en tenaille entre la femme qu’elle était et la mère qu’elle n’arrivait pas à devenir. Quarante ans, c’est l’étau de la vie.
-Encore un café ? De toute façon vous n’allez pas dormir, proposa Marc-Antoine.
-Ah bon ?
-Je vous propose une petite balade nocturne.
-Où ? La station est quadrillée par les pandores.
-J’ai un petit papier signé de la main du préfet m’autorisant à circuler. Je leur ai donné un bon coup de main ce matin.
-On va où ?
-A la tour. On va retrouver le vieil homme et lui parler.

… à suivre…

©Guillaume Desmurs/La Chute Des Corps/2017