La chute des corps – Chapitre 5/24

La chute des corps – Chapitre 5/24


Chapitre 5

Alix Dustan n’avait jamais vu un cadavre de près.
-La couleur des cheveux, c’est normal ? demanda-t-elle au Stéphane municipal occupant, le soir de la mort de Jean-Jacques, le poste de gendarme de garde et, accessoirement, d’amant d’Alix.

-J’en sais rien, je suis pas coiffeur.

Alix avait accepté, bravache, de monter à la station à 19h30 pour couvrir l’accident. « Ca n’a aucun intérêt, c’est donc pour toi », lui avait lâché son rédacteur en chef, ce dernier détestait les stagiaires que sa hiérarchie lui jetait régulièrement dans les pattes. Il était d’autant plus vicelard avec l’apprenti-journaliste s’il soupçonnait un piston à l’origine du stage, ce qui n’était pas le cas d’Alix.

Stéphane lui avait permis d’accéder au corps, discrètement, sous conditino de confidentialité. Elle l’avait remercié d’un baiser dans le cou, alors qu’ils descendaient dans le monte-charge grinçant.
-Je n’ai pas le droit normalement, mais comme je suis tout seul pour le moment…, se justifia-t-il.
Vidé de son air par l’avalanche encyclopédique, le visage de Jean-Jacques était étrangement paisible. Seul le blanc de sa peau contrastait avec le violet incertain de ses cheveux.
-Accident, meurtre, suicide ? demanda Alix.
Le jeune gendarme réfléchit longuement à la question. La maréchaussée était aussi bien entrainée à manier le Mathurin qu’à composer des phrases précises et factuelles pour les dépositions.
-Cela fait deux suicides en deux jours, dit le fraichement gradé.
-C’est à dire ?
-Je ne suis pas censé donner mon avis, mais… au-delà de trois, on pourra évoquer une volonté délibérée. On pourra parler de meurtrier.

Alix écrit dans l’heure un article évitant de trancher entre suicide et assassinat, article que son rédacteur en chef s’empressa de caviarder en secouant la tête de dépit. « On ne dit pas les choses comme ça », souffla-t-il, déguisant sa censure en pédagogie. Il remit clairement en avant la thèse du suicide.

Dans la vallée, on commençait à croire, à l’inverse, à l’existence d’un meurtrier, hypothèse bien plus excitante, et les premières accusations ne tardèrent pas surgir. L’une des cibles les plus faciles fut le fils adolescent d’un couple d’agriculteurs dont la famille avait été très longtemps de farouches opposants à la construction de la station, ce que les locaux ne leur avaient jamais pardonné. Le gamin, prénommé Kevin, brûlait des pneus, fracturait des locaux à ski, entrait dans les maisons de vacances vides des riches Suédois et jouait à la Playstation. La lumière par les fenêtres finissait par le trahir et il écopait d’un avertissement de la police et d’une bonne raclée punitive. La violence des réprimandes lui donnait une énergie accrue pour recommencer.
Il était donc le suspect idéal, même si la plupart des habitants de la vallée le croyait incapable de tuer l’un de ses semblables. Cependant, la langue bifide qui pousse aux commères voyait dans cette accusation le moyen idéal d’éloigner le nuisible Kevin de la vallée.

… à suivre…

©Guillaume Desmurs/La Chute Des Corps/2017