L’open-space ne ment pas

L’open-space ne ment pas


Nicolas Santolaria, 46 ans, est un drôle de plumitif. Il fait son nid dans nos obsessions quotidiennes les plus risibles… et les plus inquiétantes, notamment sur nos lieux de travail. Il a l’oeil pour repérer ce qui brille (compromissions honteuses, fatigues chroniques, perversions systémiques) et les saisir de son bec affûté comme une plume. 

Le Syndrome De La Chouquette

Son dernier livre, Le syndrome de la chouquette est un recueil de ses chroniques parues dans Le Monde, décryptant les menues obsessions et autres travers d’époque de la vie de bureau. Prévues à l’origine pour être lues chaque semaine, dans le cadre d’un journal, ces chroniques souffraient d’être étouffées par les articles alentours. Leur accumulation dans ce recueil produit un effet nouveau : bien plus que des chroniques légères et rigolotes, elles prennent dans cette forme compacte de beau petit livre (bravo en passant à l’éditeur Anamosa pour la qualité du produit : format, papier, illustrations) des allures de précis sociologique glaçant autant qu’hilarant.

Chaque texte pourrait être un pitch pour une nouvelle saison de la série The Office. Mélange d’observations féroces et de références sociologiques, elles nous plongent dans l’angoisse moderne du monde du travail tertiaire, décrite par Houellebecq dans son premier roman Extension du domaine de la lutte.

Là où il n’y avait aucune issue chez Michel – sauf à s’abîmer dans le sexe triste et à siroter le poison existentiel des périphéries urbaines – Nicolas nous prescrit ce remède efficace face à l’absurde : l’humour. 

J’ai aimé l’ancien employé se reconvertissant à la vie rurale… et qui revient la queue basse, retrouver le confort de son open space : « Le soir venu, dans les bureaux déserts, notre reconverti se mettrait à caresser son carnet de Tickets Restaurant comme un condensé de promesses affolantes enfin à portée de main (…) Enfouie dans son veston comme un trésor inestimable, une dosette de café d’un mauve étincelant, choisie parmi des dizaines de couleurs optionnelles (… rappelant… ) à notre homme nouveau l’infinie richesse de cette réalité encapsulée ». 

J’ai aimé la puissance de cette métonymie, venant clore une chronique consacrée au harcèlement olfactif, qui vient entrer brutalement en contact avec vos sens engourdis :

« Si ostraciser le salarié malodorant est une tentation à laquelle il faut impérativement résister, le non-dit reste sans doute la pire des options et vous reviendra immanquablement aux narines, comme un boomerang taillé dans le livarot ». 

Le Syndrome De La Chouquette

Pour en savoir plus, j’ai partagé un apéro à l’ambiance estivale avec Nicolas sur les bords du canal Saint Martin. Ancien compère d’école de journalisme, Nicolas n’a finalement fait que polir, au fil des ans, l’optique aiguisée lui servant à observer ses semblables. 

-On peut devenir fou dans un open space ? 

-Oui… Il y a énormément de pathologies produites par l’open-space. Si beaucoup de salariés de bureau font semblant de travailler, les pathologies, produites à échelle industrielle, sont bien réelles : burn out, bore out, brown out, hyperstress, tako tsubo…

-Qu’est-ce que c’est ? Un sushi ?

-Pas loin. C’est un piège à poulpe. Le terme décrit une fausse crise cardiaque qui peut te laisser HS plusieurs mois. 

-Pourquoi l’open-space t’inspire-t-il autant ?

-C’est un théâtre à ciel ouvert avec de nouvelles tendances et des invariants (par exemple la machine à café). Mon livre est centré sur le tertiaire et notamment les start-ups, qui donnent lieu à une nouvelle culture et une nouvelle théâtralité. Je raconte ce changement culturel où l’on est passé de la pointeuse au chief happiness officer qui vérifie que le tournoi de baby foot est bien organisé. Le but : te garder plus longtemps possible au boulot. Baby foot, tables de ping-pong, canapés… la culture de la Silicon Valley entre en conflit avec la culture française (la sieste, par exemple, est mal acceptée en France).

Tout le monde rêve d’être start-uper, c’est la force de la culture de la Silicon Valley, alors que 8 sur 10 se cassent la gueule. On pourrait d’ailleurs les appeler start down !

-Il y a beaucoup de chroniques s’intéressant au vocabulaire.

-Oui, comme à l’époque de Molière qui moquait le jargon des médecins. Le langage technique crée un effet de sérieux pour mieux dissimuler une réalité absurde : prendre en charge un stagiaire devient du mentoring. Le reverse mentoring c’est quand ton stagiaire est meilleur que toi en informatique. Le free sitting (sans bureau fixe), ou le hot-desking, version dévoyée du free sitting, quand il y a moins de bureaux que de salariés. Le growth hacking, c’est le boulot d’un hacker en interne dont le rôle est de booster la croissance de la boite. Le blurring est l’effacement de la frontière entre le travail et la vie privée… J’ai assisté à des réunions de start-ups où j’avais l’impression d’entendre du bantou !

Le Syndrome De La Chouquette