L’humour ne tire jamais à blanc

L’humour ne tire jamais à blanc


La satire est bien douce en ces temps durs. Les coups de fraise de dentiste de ce livre produisent une revigorante mélopée dans le concert omniprésent des platitudes politiques et médiatiques. La caresse empoisonnée plait au citoyen abusé par tant de promesses (dont il se veut de les avoir crues). « Dans cette époque brutale que nous traversions, les révoltes s’étouffaient dans le sang ou dans le temps« , ainsi commence Francois le Petit, chronique d’un règne, de Patrick Rambaud.

François Le Petit de Patrick Rambaud

Francois le Petit est la suite des chroniques sourire en coin et poignard dans la manche que Rambaud consacre à la vie politique française. « Je raconte ici l’histoire d’un petit nombre d’hommes qui, poussés par les évènements, ne se hissaient point à leur portée. Le monde avançait mais eux, animés par d’anciens réflexes, amidonnés, rétrécis dans leur système de pensée et leur langue morte, ils semblaient reculer tant ils s’échinaient à rester immobiles« .

Derrière le paravent d’un style à la fois élégant et cruel, l’auteur au nom de guerrier moderne emprunte la plume d’un Saint-Simon, et autres commentateurs de cour témoins des turpitudes du régime, cachés derrière le rideau.

Sa position de sniper politique lui permet de décocher ses volées de flèches sans compter, avec le geste souple qui caractérise les assassins éduqués et esthètes.

On sourit à la cruauté de chaque trait, plaisir ravageur dont on redemande. Avec quelle douceur et quelle manière il tranche la gorge de nos dirigeants ! Ses moulinets rhétoriques atteignent les cœurs avides et en expose le jus frelaté. Son style habillé, flatteur dans un premier temps, se dévoile soudainement. Tous les hommes politiques du quinquennat de Hollande passent sur le siège de barbier à la lame subtile de Rambaud et en ressortent rasés de frais et subitement chauves.

Patrick Rambaud passe la politique à la serpe (illère), n’épargne personne avec son jeu de jambes qui le propulse d’une victime à l’autre en une danse meurtrière à laquelle nous applaudissons en rythme, pour encourager le spectacle.

Se faire mettre à mort avec autant de talent, on en redemanderai presque une autre au bourreau.

Ces traits blessent, au pire, sans jamais provoquer de trépas ; ils ridiculisent surtout et parfois même se permettent même un peu de tendresse.

Holland est tantôt « notre frais souverain » puis François IV, François-l’Immobile, le Volage, le Prudent, Le Parano, le Miteux, le Myope, l’Endormi, etc. Et on revit avec tous ceux qui l’entourent dans cette farce théâtrale (l’habit de l’éditeur Grasset avec ce format, cette couverture et cette typographie, lui donne un aspect solennel de classique de la littérature). « Ce n’étaient pas les hommes qui allaient sauver l’économie mais l’économie qui à la saint-glinglin sauverait les hommes. François IV prétendait aimer les gens en les rapetissant à des pourcentages et à des chiffres ; en cela il n’avait pas changé« .

François Le Petit de Patrick Rambaud

Les grands moments du quinquennat défilent (le tweet, Cahuzac, Leonarda, Dieudonné, Mademoiselle Julie, Sivens), petits et grands. Et Rambaud de clore un chapitre par cette phrase qui ne fait plus rire : « Cet hiver-là il y eut soixante mille chômeurs supplémentaires ; les trois millions de sans-emploi ne cessaient de grandir« . Plus loin, il poursuit sur le même sujet avec une soudaine acuité sociale : (Hollande) « avait diminué surtout les statistiques en multipliant les contrats aidés et le formations, avait échoué comme c’était prévisible avec ce qu’il avait nommé les contrats de génération, qui liaient à l’embauche un jeune et un vieux – belle utopie. Tout cela était tellement artificiel, tellement une routine de tous les pouvoirs. Nicolas 1er avait recours aux mêmes stratagèmes« .

Mais c’est Nicolas, objets des précédents recueils de l’auteur, qui en prend pour son grade. Il change de qualificatif à chaque mention : Nicolas-le-Clinquant, l’Hypocondriaque, le Fourbe, le Jaloux, le Bravache, le Naufragé, le Ténor, le Caïd, l’Eclaté, l’Emphatique, l’Epoustouflant, l’Estampeur, le Fumeux, le Magnifique, l’Emprunté, le Cupide, etc.

Sa courte description de Patrick (l’Abbé) Buisson fait mouche : « Tous les vices combattaient en lui à qui en demeurerait le maître. Ils y faisaient un bruit et un combat continuel entre eux ; mais l’ambition était son dieu ; la perfidie son moyen« . Celle de Florian Philippot pique : « ses idées carrées se camouflaient dans la pénombre. Selon lui, les pays devaient se rétrécir et s’enfermer« , et l’auteur de livrer une cocasse définition du nationalisme : « le père Philippot ressemblait en cela aux enfants qui, organisant leur campement avec des draps et des cotillons sous la table de la salle à manger, en interdisaient l’accès aux adultes« .

Et ainsi s’achève cette première moitié de quinquennat : « François IV arriva de la sorte au mitan de son règne, en haillons mais content de lui« . En lisant ce livre, je voyais les puissants mis à poil et j’avais en tête l’image du DRH d’Air France à la chemise arrachée, fuyant pitoyablement la foule sans oser la confronter, grimpant sur le grillage comme un animal pourchassé hors de son zoo confortable.

Méfiez-vous, Ducs, Vicomtes et autres Dames d’en-haut, l’humour n’a jamais tiré à blanc.

François Le Petit de Patrick Rambaud