Je m’ennuie…
Deux livres. Une même impression. Forest Dark de Nicole Krauss et What We Loose de Zinzi Clemmons. Un ennui profond. Deux ouvrages bénéficiant d’une belle promotion outre-Altlantique et outre-Manche. Deux représentantes d’une littérature moderne. Deux « voix » ! Deux écrivains – non, je ne féminise pas, n’insistez pas. La même impression de boire un café passable très allongé d’eau chaude pour avoir la tasse pleine.
Je n’ai pas terminé le premier, vaguement intéressé par ce roman qui n’est pas mauvais, mais qui n’est pas très bon non plus. J’ai bien levé une paupière lasse à certains moments, quand la prose se fait, rarement, légère et vivifiante. Puis j’ai repris mon ronflement au rythme égal de sa phrase. J’ai terminé le second grâce à sa brieveté, aux chapitres ramassés, aux situations simples. C’est fluide, mais ça n’a pas de goût. Au final, je n’entends pas grand chose dans ces murmures romanesques amplifiés artificiellement par le porte-voix du milieu littéraire. Je dis cela sans animosité, mais cette littérature m’emmerde. Je ne vais même pas essayer de vous résumer les intrigues, elles ne m’ont pas planté leurs crocs dans mes mollets. Je m’ennuie chez ces best-sellers.
Je suis très embêté par cette situation. Ce sont deux femmes portées par un establishment littéraire qui les encense : Nicole Krauss est l’ex-femme de Jonathan Safran Foer, Zinzi Clemmons a étudié la littérature et écrit dans les bonnes revues. Elles cochent toutes les bonnes cases de la culture East Coast.
On a les mêmes pistonnés des lettres en France, la même duplication des voix consensuelles, le même clonage de plumes stériles, le même entre-soi qui n’accueille les voix discordantes que contraint et forcé (et encore) par le succès populaire. A qui il faut des décennies pour avoir l’honnêteté de murmurer, pistolet sur la tempe, dents serrées et morale outragée : « Céline est un écrivain important de la littérature… C’est bon je l’ai dit, maintenant laissez-moi terminer mon article sur Jean d’Ormesson. »
Nicole et Zinzi représentent à merveille la petite bourgeoisie métropolitaine et « pavillonnaire » (dixit Christophe Guilly dans son essai en forme d’essuie-glace sur nos lunettes crottées : Le crépuscule de la France d’en-haut), en gros : celle qui aime Olivier Adam et Philippe Djian.
Je repense à ces rosses que décrit Gracq dans La littérature à l’Estomac (1950, quand même) « la fiesta rituelle et colorée qu’est devenue notre ‘vie littéraire’ » : « (…) le spectacle pénible d’une rosse efflanquée essayant de soulever lugubrement sa croupe au milieu d’une pétarade théâtrale de fouets de cirque (…) » et il poursuit, lui qui a refusé le Goncourt, « (…) je me permets de signaler à la police, qui réprime en principe les attentats à la pudeur, qu’il est temps de mettre un terme au spectacle glaçant d’’écrivains’ dressés de naissance sur le train de derrière et que des sadiques appâtent aujourd’hui au coin des rues avec n’importe quoi (…) »
On s’emmerde dans les grandes largeurs avec votre littérature, les filles.
Tiens, je vais lire Claude Levi-Strauss, écrivain récalcitrant ne s’étant jamais considéré comme tel. Les premières lignes de Tristes Tropiques me redonnent le sourire : « Je hais les voyages et les explorateurs. » Elles devraient haïr un peu plus, ces deux charmant(e)s écrivains, ça leur donnerait du style.
Peut-être.