La chute des corps – Chapitre 4/24

La chute des corps – Chapitre 4/24


Chapitre 4

De cette première journée de ski, Christiane revint toute émoustillée et le nez rougit de froid. Minauderies d’adolescents… c’était tellement agréable et sans conséquences. Christiane gardait malgré tout un fond de respect pour son mari. Elle l’aimait bien sûr, mais pourquoi se priver d’un peu de plaisir ? Baiser Philippe, c’était une journée à la fête foraine. Les scrupules ? Ca gâche. Elle avait décidé très tôt de s’en débarrasser car tout ceci n’avait pas beaucoup d’importance.

De cette première journée de ski, Christiane revint toute émoustillée et le nez rougit de froid. Minauderies d’adolescents… c’était tellement agréable et sans conséquences. Christiane gardait malgré tout un fond de respect pour son mari. Elle l’aimait bien sûr, mais pourquoi se priver d’un peu de plaisir ? Baiser Philippe, c’était une journée à la fête foraine. Les scrupules ? Ca gâche. Elle avait décidé très tôt de s’en débarrasser car tout ceci n’avait pas beaucoup d’importance.

Avec son air pathétique et tellement charmant de droopy vaguement bronzé, Marc-Antoine lui demanda, au moment crémeux du chocolat chaud de fin de journée, dans l’alcôve vernie du Bar des Chanterelles, si elle avait passé une bonne journée.

Pendant ce temps, le patron de la maison de la presse, Jean-Jacques, mourrait dans sa réserve. Il fut découvert quelques minutes plus tard par Joffrey, son employé en surpoids, qui mettait le monte-charge en défaut une fois sur trois.
Celui-ci poussa un cri d’horreur quand il découvrit une touffe de cheveux à la couleur inimitable dépasser d’une avalanche de magazines et de livres. Il dégagea son patron en pleurant. Jean-Jacques ne respirait plus, la gorge bloquée par une marmotte en peluche, détail baveux que la gendarmerie expliqua par un hasard macabre, écartant toute tentative d’étouffement délibérée.
Le malheureux teinté avait été écrasé, écrabouillé même, sous le poids des périodiques et des ouvrages à jaquettes colorées. Jean-Jacques avait la cage thoracique enfoncée par le poids des mots et le choc des photos. Les seins nus d’une actrice s’étalaient contre son visage comme une ultime provocation à ce notoire pédé coloré.

Cette librairie, Jean-Jacques voulait en faire son petit nid d’altitude, loin des ragots et de la violence citadine. Joffrey pleura longtemps dans les bras d’une policière municipale hermétique à la tristesse, du moins le pensait-elle jusqu’à ce qu’un chagrin d’amour, deux ans plus tard, l’envoie ravaler ses larmes dans un ashram du Minas-Gerais brésilien où elle fit voeu de silence pendant un mois.

Pendant que les policiers cherchaient des traces de sang et des empreintes digitales sur les couvertures des magazines, Marc-Antoine choisissait une bouteille de vin de Savoie pour le diner. Sa maigre culture vinicole n’avait aucun chapitre pour la région. Son éthique éthylique l’incitait à un choix plus sudiste auquel il résista. Il se rabattit sur le plus cher, dans le doute, et ajouta un saucisson bien sec. La caissière de la boucherie-charcuterie qui l’encaissa devait bien avoir entre 23 et 55 ans.
-Vous n’allez pas partir vous ?
-Pourquoi donc ?
-Ces morts, ça fait peur aux touristes.
-Je suis médecin, j’en vois tous les jours, alors deux de plus…
-Vous voulez dire qu’on fait le même métier alors ?
Elle partit d’un rire que Marc-Antoine accompagna par politesse. Elle lui glissa dans le sac plastique, une poignée de grelots faites maison, tout comme la faute de grammaire sur l’étiquette.

La nouvelle de la mort de Jean-Jacques se retrouva le soir même sur le site web de Savoie-Matin et provoqua, malgré l’élégante discrétion de l’article, de nouvelles discussions encore plus animées le lendemain matin. La station bruissait de cet inédit mot de meurtrier alors que toutes les preuves, insistait l’article, pointaient vers le suicide. Marc-Antoine tendit l’oreille vers le bavardage énervé du bar.
-On fait quoi maintenant ? On attend le prochain ? lança un moniteur de ski aux mains tremblantes d’alcool matinal.
-Faut le pendre par les couilles ! répondit le cuisinier barbu qui portait une caisse d’entrecôtes fraichement coupées.
-Pendre qui ?
-Le connard qui a fait ça.

Vers 9h30, Christiane rejoignit son groupe et fit la bise à Philippe devant tout le monde. Un peu surpris, le moniteur cornaqua néanmoins avec expertise tout son groupe vers le télésiège. Il s’arrangea pour être seul avec Christiane sur un siège. Ils purent échanger leurs papouilles, seuls au monde, pendant les 7 minutes de la montée en plein soleil. 645 m de dénivelé exactement.

… à suivre…

©Guillaume Desmurs/La Chute Des Corps/2017